À la fin 2015, il était difficile de ne pas entendre parler d'un ovni, à la fois adulé en tant que perle novatrice, ou conspué comme une lubie pixelo-hipster cracra : Undertale, le rpg narratif de Toby Fox, hommage à l'ambiance loufoque de Earthbound. 2018 nous a offert la possibilité de toucher à la bête sur Switch, et d'essayer de comprendre pourquoi elle a tant marqué le milieu du jeu indépendant. Undertale mérite-t-il tout le bruit qui l'a entouré depuis sa sortie ?
Avant de vous parler d'Undertale, je tiens à prévenir ceux qui n'y ont jamais touché que mon expérience de jeu a été énormément influencée par ce que j'avais entendu dire à propos de lui. Undertale est un jeu narratif, pleins de surprises, et si vous souhaitez le découvrir l'esprit vierge d'aprioris, je vous conseille d'arrêter là votre lecture, et de foncer le faire. Je vends un peu la mèche, mais c'est vraiment un jeu marquant et unique. Pour ceux qui resteront, je vais bien sûr essayer de limiter le nombre de spoilers dans ma critique. Et sachez que le fait d'en savoir trop a certes conditionné ma façon de jouer, mais n'a pas empêché de rendre ces sessions de jeu inoubliables. Sur ce, plongeons nous dans le monde souterrain !
Fiche Technique
- Genre : Narrative RPG / ?
- Titre original : Undertale
- Date de sortie : [PC] 15/09/2015 - [Switch] 19/09/2018
- Développeur : Toby Fox
- Editeur : Toby Fox
- Plateforme : PC, PS4, PS Vita, Switch
- Directeur : Toby Fox
Contexte de jeu
- Jeux du même genre déjà faits : Je n’ai jamais joué à un jeu comme ça…
- Attente : Forte.
- Notes : Première run pacifique, deuxième run meurtrière.
Unstack Story
L’un des maux du monde du jeu vidéo est la recommandation à outrance. À telle point qu’on frise l’overdose, et qu’on préfère boycotter les jeux chantés par les trompettes entêtantes de la hype. Du méprisant “Tu devrais faire Dark Souls, tu verras ce que c’est du vrai jeu vidéo”, au justifié “Joue à Hollow Knight, c’est pas un jeu pour gamin”, on a tous connu des jeux qui transforment nos amis en VRP fanatiques. Undertale est l’un de ceux là. Alors quand on a l’occasion de l’avoir entre les mains, trois ans après sa sortie, on cherche à comprendre pourquoi le jeu a marqué tant de gens. Qu’a-t-il d’unique ? Car unique, oui, le jeu l’est. Il est facile d’en voir les inspirations, venant du J-RPG, du Shoot’em Up, du Visual Novel, mais ce mélange de genres ne s’est jamais vu ailleurs. On pourrait lui coller l’étiquette de RPG Narratif, terme suffisamment vague pour englober le tout. Mais partiellement faux, car si l’on joue d’une certaine manière, le jeu n’est même plus un RPG ! Fini de divaguer dans le flou, parlons de ce qu’est ce jeu.
Undertale nous met dans la peau d’un petit… humain (à votre subconscient de déterminer si c’est un garçon ou une fille), vêtu d’une salopette et d’un t-shirt rayé (vous avez dit Ness ?). Il est tombé par mégarde dans l’Underground, un royaume souterrain habité par des monstres qui essayent, malgré leur bizarrerie, de vivre comme des humains. On va contrôler cet enfant dans sa quête de sortir de cet endroit pour retrouver les siens. Sur le chemin, on va rencontrer une multitude de personnages, tantôt amicaux, tantôt agressifs, souvent excentriques, et nous allons en apprendre plus sur eux et sur leur monde.
Qui dit RPG dit combats, et là Undertale nous dévoile sa première carte d’originalité. Ces combats se déroulent au tour par tour et, si attaquer est relativement classique, se faire attaquer est très différent. Pendant le tour de l’adversaire, nous contrôlons un petit coeur rouge, symbolisant notre âme, dans un carré blanc, et nous devons éviter tous les projectiles que nous envoie l’ennemi. Empruntant énormément au Shoot’em Up, ces séquences sont uniques pour chacun des monstres que nous combattons. Elles atteignent leur paroxysme lors des affrontements de boss, renouvelant souvent leur gameplay et offrant un challenge conséquent. Ici l’on parle de “combat”, mais il s’agit surtout de “survie”. Rien ne nous oblige à attaquer les monstres qui s’en prennent à nous. À la place, le jeu nous propose de parler et d’interagir avec eux, grâce à de multiples mots-clé qu’il faudra judicieusement choisir. Ils feront tous réagir nos opposants de manière finement comique, et seul la bonne séquence de mots nous permettra de les épargner.
Là où Undertale est magnifiquement bien écrit, c’est pendant les moments où il nous fait nous interroger sur la relation que nous avons avec le jeu. Tuer un monstre ou l’épargner aura un véritable impact sur l’histoire, et tout cela se fait uniquement par le gameplay. À nous de choisir si nous préférons exécuter des êtres qui ne nous ont, au final, pas fait grand chose, afin de gagner de l’Exp et d’augmenter nos points de vie et notre force meurtrière, ou bien si l’on souhaite, par humanité, les épargner, quitte à devoir encaisser tous leurs assauts en restant niveau 1 jusqu’au bout. D’autant plus que le jeu possède différentes fins en fonction de nos choix implicites, d’une multitude de quêtes annexes, et qu’il nous pousse à le recommencer pour explorer les différentes possibilités qu’il offre. Et c’est là que ça devient brillant et pervers à la fois. Le jeu nous sert tout un discours sur la “détermination”. La détermination de notre personnage à sortir de ce monde, subtile mise en abîme de la détermination du joueur à finir le jeu. Et ce n’est pas un enrobage narratif inutile. Alors qu’on décide de tuer un boss pour “voir ce que ça fait”, mettant de côté notre empathie, en se disant qu’on n’est pas mauvais, qu’on le fait pour le test, le jeu nous demande véritablement si ça vaut le coup, si ça mérite le sacrifice d’une personne, certes virtuelle, mais avec ses convictions et ses causes à défendre. Jamais il n’a été aussi dur de vaincre un boss, pas par la difficulté de ses attaques, mais par l’infini tristesse qu’on doit s’infliger en prenant cette décision inhumaine. On a simplement pas envie : pas envie de continuer le combat, pas envie de cette violence. Mais ce constat nous remplit de détermination…
Et ceci, il le fait par une mise en scène millimétrée et une bande son extraordinaire, qui frise le génie quand on sait qu’elles ont été faites par une seule et même personne. Surtout pendant les combats de boss, on est transporté par la musique et les dialogues dans la psyché de notre adversaire, harcelé par un gameplay éprouvant. On en sort souvent vidé, parfois écoeuré d’avoir dû faire quelque chose de terrible, toujours chamboulé par l’intensité de l’affrontement. Quand l’on prend conscience de tout ça, qu’on a fasse à soi un jeu avec une histoire profonde, malgré un monde loufoque et une tendance à mitrailler des vannes plus souvent qu’un humoriste sur les planches, un jeu au gameplay riche, mixant des genres de façon inédite, et n’hésitant pas à casser le quatrième mur, un jeu nous faisant réfléchir sur nos actions et leur conséquences, on ne peut dire que “Bravo M. Fox ! Votre jeu est grand et me marquera pour encore longtemps”. Undertale parle des problèmes de communication, de l’amour que l’on peut avoir pour quelqu’un de différent, sans savoir comment l’exprimer vraiment, et, principalement, du fait que ce n’est qu’un jeu, dont les personnages pourront être vos amis tant que vous continuerez à y jouer, et disparaîtront quand vous le finirez. Un jeu incroyablement touchant, parlant à n’importe quelle personne ayant été un jour marginalisé par trop d’excentricité ou de différences, et on comprend aisément l’engouement qu’il a suscité dans la communauté des joueurs, qui se sont accaparé cet univers qui leur ressemble comme le leur. Sous toutes ses couches de folies (ou grâce à elles), on se reconnaît dans Undertale, et la quantité de possibilités narratives qu’il offre, de secrets qu’il recèle nous donne envie de plonger dans ce monde de monstres, pas si différents de nous au final.
Voilà, que dire de plus. Une expérience grandiose ! Et je suis convaincu qu’elle sera différente pour chacun d’entre nous. Même si je suis conscient qu’il y a un fort risque de passer à côté, et que tout cela n’est peut-être que de la sur-interprétation, je ne peux que vous inviter à l’essayer, car c’est un jeu qui fait du bien.