Il est venu le temps de parler d'un des jeux les plus encensés de 2017, et sans doute des cinq années à venir. Et comment aborder le fruit du travail d'une petite équipe d'australiens, alors que celui-ci a réussi à rivaliser avec (à surpasser diront certains) le génialissime The Legend of Zelda : Breath of the Wild l'année de sa sortie. Alors que vaut ce Metroidvania au monde des insectes ? A-t-il de quoi bouleverser l'industrie du jeu vidéo comme Link l'a fait dans les plaines d'Hyrule ?
Fiche Technique
- Genre : Metroidvania / Simulateur de Claustrophobie
- Titre original : Hollow Knight
- Date de sortie : [PC] 24/02/2017 - [Switch] 12/06/2018
- Développeur : Team Cherry
- Editeur : Team Cherry
- Plateforme : PC / Switch
- Directeur : Ari Gibson & William Pellen
Contexte de jeu
- Jeux du même genre déjà faits : Metroid Zero Mission (GBA), Super Metroid (SNES), Metroid Prime 1 à 3 (Wii), Cave Story (PC).
- Attente : Forte (il est sensé être aussi bon que Zelda BOTW, bon sang !).
- Notes : Jeu terminé plusieurs fois pour avoir deux fins différentes. Je n’ai pas battu tous les bosses optionnels et je n’ai pas fini tous les DLC.
Unstack Story
Bon, autant casser le suspense tout de suite : Hollow Knight est excellent ! C’est un must-have, que vous ayez un PC, ou une Nintendo Switch. Pour un prix dérisoire (environ 15€), la Team Cherry nous offre une aventure profonde, marquante, avec un contenu plein de générosité, alimentée par maints DLC gratuits. Mais tout cela était prévisible, vu l’engouement avec lequel tous les journalistes jeu vidéo le présentaient. Pour que je m’y attaque, la seul chose qui manquait était une version Switch. Et on a attendu un certain moment, avant que Nintendo crée la surprise à l’E3 2018, en sortant le jeu pendant sa conférence ! Ni une, ni deux, je me suis procuré le jeu sur l’eShop, l’arrivée inattendu du prodige mettant à mal mon programme vidéoludique.
Et une fois passé 40h sur le jeu, qu’est-ce que j’en retire pour comprendre la grande qualité du jeu ? Et bien Hollow Knight, s’appuyant sur des concepts déjà établis par ses pairs, propose plusieurs idées de gameplay très originales, réfléchies et qui s’imbriquent entre elles avec génie, au service inflexible de l’exploration. Et sur ce point je me dois d’insister. Les développeurs ont su mettre au point des mécaniques intelligentes pour placer l’exploration au coeur du gameplay.
En tant que Metroidvania, Hollow Knight est un jeu de plateforme aventure 2D, où l’on contrôle un petit personnage insectoïde, lâcher dans le royaume mort presque-mort d’Hallownest, capable de sauter et de lacérer ses ennemis (et tout ce qui lui passe sous la main) grâce au petit aiguillon qui lui sert d’épée. Au fur et à mesure de son aventure, il va débloquer de nouvelles manières de combattre et de se déplacer (projectile, wall jump, double saut, …), lui permettant ainsi d’accéder à de nouvelles zones de la carte. Dans tout cela, le jeu est très propre, et fait preuve d’une maniabilité exemplaire ! En plus de proposer des séquences de plateforme exigeantes et intéressantes, le jeu apporte aussi un système d’évolution basé sur des badges, à équiper dans des emplacement en nombre limité. Il y en a qui améliorent des coups spéciaux, certains exaltent les compétences de déplacement, d’autres encore donnent des pouvoirs passifs à notre héros. Pour récupérer ces badges, il vous faudra les acheter aux différents vendeurs du jeu contre des Géos, monnaie de ce monde que vous récupérerez sur le cadavre de vos adversaires. Tout ce système ouvre la porte à des possibilité de builds différents selon les situations de jeu, offrant une richesse de gameplay surprenante pour un jeu de cet acabit.
Et quid de l’exploration dans tout ça, me demanderez vous ? Pour l’instant, ce que je vous décris n’a rien d’étonnant dans un Metroidvania. Et bien, une fois muni de tout ça, le jeu se découpe en différentes zones qu’il va vous falloir découvrir pour avancer dans l’histoire et mieux comprendre le monde dans lequel vous vous mouvez. Et c’est là que la sauce prend, grâce à trois éléments: le cartographe, la carte et l’âme.
Le jeu dispose d’une minimap, mais au contraire d’un Super Metroid qui nous révèle la carte d’une zone quand on y entre, et fait clignoter un point lumineux dessus pour nous indiquer notre but, Hollow Knight propose quelque chose de beaucoup plus subtile, et de mieux intégrer à son univers. Quand vous arrivez dans une nouvelle zone, vous n’avez pas de carte ! Pour vous la procurer, il vous faut retrouver le cartographe, petit personnage fort sympatique qui se cache dans chaque région du jeu, et qui sera ravi de vous vendre la carte qu’il vous aura griffonnée.
Et dire “griffonnée” n’est pas un effet de style. La carte qu’il vous vend n’est jamais complète ! Elle montre seulement une partie des salles de la zone, indiquant avec subtilité le chemin à suivre pour faire avancer l’aventure, et titillant d’emblée notre curiosité quand on voit des salles aux ouvertures menant vers l’inconnu. C’est à vous alors de compléter cette carte en parcourant les salles non dessinées. Et elle ne se mettra à jour qu’au moment où vous vous reposerez sur l’un des bancs qui parsèment les sombres couloirs d’Hallownest. Ces bancs, en vous soignant, servent de points de sauvegarde et de lieux de repos, mais ils font aussi revivre tous les ennemis que vous avez occis dans cette zone.
L’exploration se fait alors en deux boucles. Tout d’abord on découvre une nouvelle zone, hostile et inconnue. À l’aveugle, on s’évertue à trouver ce satané cartographe, et on essaye de se rappeler de l’arrangement de tous les dédales qu’on parcourt. Et enfin, au détour d’une salle, on entend sa voix libératrice : hum hum hum hum hummmmm hummmmm hummmm hum hum hummmmm. Contre quelques Géos, on peut enfin se procurer de quoi soulager notre charge mentale, et voir la tête de la zone dans laquelle on est. À partir de là, on va commencer à prendre le contrôle de notre environnement, grâce à des boucles plus petites, qui consistent à explorer les salles découvertes, tout en s’aventurant dans celles que notre ami à lunette n’a pas pris la peine d’aller voir. Revenir régulièrement à un banc nous permet de “confirmer” notre exploration, tout en restaurant notre vie et notre âme.
Et c’est maintenant que je peux vous parler de l’âme. L’âme est une ressource de notre personnage que l’on apprend à maîtriser très tôt dans le jeu. En frappant les ennemis sur son chemin, on emmagasine de l’âme dans une jauge ronde en haut à gauche de l’écran. On peut ensuite s’en servir pour lancer des sorts, ou bien pour se soigner. Se Soigner ! En pressant longuement un bouton, notre héros canalise son âme pour se rendre un point de vie. C’est la pierre angulaire sur laquelle toutes les boucles d’exploration tiennent. Le jeu est assez exigeant, et quand l’on arrive dans une nouvelle zone, il n’est pas rare de se prendre constamment des dégâts à cause d’ennemis inédits ou de pièges retors. La possibilité de se soigner rend l’exploration agréable et prenante. Sans ça, il nous faudrait constamment revenir aux bancs pour faire le plein de vie, sous peine d’une mort rapide. Et cela n’enlève rien à la tension des affrontements puisque le soin met trop de temps à se canaliser pour pouvoir être utilisé en plein combat. Et si l’on est mal en point et que l’on a pas d’âme (ce qui arrive souvent vu qu’elle sert aussi à lancer des sorts offensifs), pour en récupérer, on doit se lancer dans la bataille tout en gardant sa prudence. Il est vrai que cette mécanique s’apparente beaucoup, dans un Super Metroid, au fait que les ennemis vaincus peuvent nous lâcher de la vie ou des missiles. Mais ici, elle est déterministe et nous laisse le choix. Chaque coup sur un insecte nous rapport la même quantité d’âme, et après on décide de s’en servir pour se soigner ou pour attaquer.
Tous ces éléments mis ensemble permettent d’avoir une boucle d’exploration fluide, longue et complètement libre. Et si l’on rajoute à ça une diversité d’environnement incroyable, Hollow Knight nous invite à une grande aventure. Car l’une des vraies forces du jeu, la plus surprenante d’après moi, est la qualité d’écriture de son univers. Oui, malgré son air enfantin, Hollow Knight possède un monde riche, profond, avec une galerie de personnages attachants et haut en couleur. Heureusement vu qu’une bonne partie de la narration passe par eux. À l’instar d’un Metroid Prime, le jeu est avare en cinématique, et préfère nous faire découvrir son univers à travers les dialogues des nombreux PNJs que l’on va croiser dans notre périple. Et ils sont nombreux, à nous raconter une facette de l’histoire de Hallownest, à travers le récit de leur vie. Chacun possède une personnalité propre, de par leur apparence et les adorables onomatopées qu’ils font en parlant. Dans un monde dégoulinant de nostalgie et de décrépitude, la Team Cherry arrive ainsi à amener des touches de légèreté, d’humour même, qui nous font nous attacher encore plus à ce jeu. On sent le souci du détail apporté partout, pour avoir un univers crédible et touchant. À une époque où l’on est habitué à ce que tout élément d’un jeu ait une fonction de gameplay (faire avancer une quête, donner une récompense), la majorité des personnages de Hollow Knight ne sert à rien. Malgré une mise en scène démesurée par rapport à leur utilité, les développeurs ont décidé d’intégrer énormément de personnages “juste” pour étoffer le lore. Et ça marche ! On y croit. On se prend d’empathie pour eux, et l’on s’en souvient une fois la manette posée.
Grâce à cela, le jeu prend une dimension épique et tragique que n’aurait pas présagé l’apparence frêle de notre personnage. La mise en scène grandiose sert une narration environnementale subtile, qui ne sur-explique pas son intrigue. Bon nombre des combats de boss sont mémorables, pleins d’intensité, et ils nous donnent un vrai sentiment d’accomplissement. Et je ne parle pas de la bande originale qui accompagne parfaitement les ambiances des zones et l’ardeur des affrontements. Je me rends compte maintenant que c’est sans doute ça qui m’a le plus surpris avec Hollow Knight. Je ne m’attendais pas à un jeu d’une telle envergure. Je ne pensais pas plonger dans une aventure aussi épique, qui n’a rien à envier à la richesse d’un Breath of the Wild ou de la cohérence d’un Dark Souls
Car oui, ça est, on a atteint le point Dark Souls. Je sais qu’en 2018, il est facile de tirer des traits entre n’importe quel jeu et Dark Souls, tant ce dernier a eu un impact fort sur les joueurs du monde entier. Mais je tiens tout de même à mettre en perspective Hollow Knight avec le jeu de From Software. Car on ne peut le nier, il y a beaucoup de ressemblances entre eux deux. Ici les bancs font office de feux de camp. On a un système de monnaie unique. La mort nous oblige à retourner sur notre cadavre pour l’affronter et récupérer les Géos que l’on possédait. Les bosses sont tout autant importants dans la progression du jeu. Et l’histoire même ressemble étrangement à l’intrigue du premier Dark Souls. La liste est longue, mais au final je ne pense pas que l’on puisse qualifié Hollow Knight de Souls-like. Le coeur du jeu n’est pas le même. Il met beaucoup plus l’emphase sur l’exploration, offrant beaucoup plus de liberté de mouvement au joueur. Et puis l’aspect Metroidvania, basé sur des pouvoirs qui nous ouvre de nouvelles zones, nécessite un monde plus designé et moins systémique. Au fond, le Team Cherry s’inspire de ce qui fait l’âme d’un Dark Souls, en l’applicant avec brio à un autre genre, créant ainsi un jeu mémorable qui propose quelque chose de nouveau. Et dans l’autre sens, cela fait réfléchir à tout ce que Dark Souls, et Demon’s Souls avant lui, ont emprunté au genre du Metroidvania à leur époque…
Que dire de plus ? À part “jouez y”. Véritable surprise pressentie, Hollow Knight est de ses bijoux, affiné avec patience et passion, qui devient à notre contact un souvenir inoubliable. Maintenant je comprends et reconnais qu’il mérite amplement sa place au sommet des jeux de 2017, aux côtés de Zelda: Breath of the Wild. L’existence même de ce jeu me fait apprécier l’époque vidéoludique dans laquelle on se trouve, où un studio indépendant a autant de légitimité pour nous faire rêver que Tonton BigN.